Dossier: L’Épître aux Romains au cœur de l'Évangile
Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page

Libérés de la loi (Romains 7)

Ce chapitre de l’Épître aux Romains a fasciné des générations de théologiens et de prédicateurs, tant il trouve un écho profond dans l’expérience humaine. Cet attrait provient principalement du débat concernant l’identité de la personne dépeinte dans les versets 7 à 25. Force est de constater que les solutions proposées sont souvent liées à différentes doctrines de la sanctification.

Ceci dit, ce débat ne doit pas faire oublier le sujet principal du chapitre, celui de la loi mosaïque, après le chapitre 6 consacré à la libération de l’esclavage du péché.

Paul aborde la loi sous deux aspects :

  • Un aspect négatif : la loi, pourtant issue de Dieu, est devenue l’auxiliaire bien involontaire du péché : elle ne pouvait ni justifier, ni sanctifier.
  • Un aspect positif : notre libération des liens de la loi était nécessaire pour que nous soyons placés dans une nouvelle relation avec Jésus Christ.

Cet enseignement sur la loi s’insère dans le développement de la Lettre aux Romains de trois manières :

  • Tout d’abord, Paul mentionne à diverses reprises leseffets négatifs de la loi ( 3.19-20,27-28 ; 4.13-15 ; 5.13-14,20).
  • Ensuite, il existe un parallèle entre la loi (ch. 7) et le péché (ch. 6) : de même que le croyant est mort au péché (6.2), libéré du péché (6.18,22) qui ne règne plus sur lui (6.14), de même aussi, il est mort à la loi (7.4), a été libéré de la loi (7.6) et de son autorité (7.1).
  • Enfin, ce chapitre est relié à une affirmation précédente : le chrétien n’est plus « sous la loi » (6.14,15). Paul explique ce que cela veut dire, comment cela a été réalisé, et pourquoi c’était nécessaire.

Délivré de la loi, uni à Christ (7.1-6)

En reprenant l’allusion à la loi faite en 6.14-15, Paul interpelle ses lecteurs et fait référence à un principe général : la loi a autorité sur l’homme aussi longtemps qu’il vit. Il illustre cela par une analogie avec le mariage : la mort libère de la loi comme des liens du mariage rendant une nouvelle relation possible. Ce qui est vrai du mariage (7.2-3) l’est aussi de l’union du croyant avec Christ (7.4).

La loi, loin d’être un rempart contre le péché, est utilisée par le péché pour produire plus de péchés (7.5,8), et rendre la situation pire qu’en l’absence de loi (7.9-11,13). En cela, la loi est bien un pouvoir de l’âge ancien (6.14 ; 7.4) : le chrétien est « mort au péché » pour « vivre à Dieu », et a « été mis à mort à la loi »« pour être joint à Christ ».

Mais le croyant, délivré du pouvoir de condamnation de la loi et de son autorité, n’a-t-il « plus rien à faire avec la loi » ? L’enseignement de Paul conduit-il à vivre sans loi ?

Paul, dans son langage habituel « car… mais maintenant », explique pourquoi il était nécessaire pour les croyants d’être délivrés du domaine de la loi. Il nous décrit comme étant, avant notre nouvelle naissance, « dans la chair », à savoir enveloppés, contrôlés par ses principes et ses valeurs. Paul dépeint la chair1 comme un autre pouvoir de l’âge ancien, en opposition avec l’Esprit. L’existence dans la chair est « réglée » par le péché, la loi et la mort, ici cités ensemble (7.5). Paul réaffirme la connexion entre la loi et le péché, tout en allant plus loin :la loi révèle le péché (3.20), elle tourne la faute en transgression (4.15), elle stimule le péché (7.7-11).

Il faut reconnaître à la loi des aspects positifs : elle enseigne la sainteté de Dieu et celle qu’il attend des siens (3.21-22) ; les commandements individuels de la loi sont accomplis en ceux qui marchent par l’Esprit (8.4 ; 13.8-10). Le chrétien est donc sous « une loi » au sens large du mot (Gal 6.2 ; 1 Cor 7.19).

Anticipant le chapitre 8, le verset 6 proclame l’affranchissement par rapport à la loi et un régime nouveau, celui de l’Esprit, tandis que le verset 5 annonce et résume la section qui suit.

L’homme aux prises avec la loi de Dieu (7.7-25)

Dans les versets 1 à 6, Paul a montré que chacun devait être délivré des liens de la loi pour être uni à Christ, car la vie sous la loi ne produit que péché et mort. Cependant, une question légitime peut être posée : comment la loi peut être à la fois bonne et un instrument qui conduit au péché et à la mort ? Paul explique cela dans la longue parenthèse des versets 7 à 25 :le péché utilise la loi comme « tête de pont » pour produire plus de péché et conduire l’homme sur un chemin de mort.

Ces versets ont donc deux objectifs :

– affirmer que la loi est bonne en elle-même,

– et montrer comment, malgré cela, elle a exercé une influence négative en suscitant le péché.

Ils se divisent en deux sections, chacune étant introduite par une question suivie de l’exclamation : « Certainement pas ! »

De qui s’agit-il ?

Paul utilise ici la première personne du singulier. Mais de qui parle-t-il ? Les (nombreuses) interprétations proposées au cours des âges peuvent être regroupées sous trois lignes générales :

  1. La situation du Juif, dans une ligne autobiographique: c’est celle qui vient le plus naturellement à l’esprit du lecteur ; Paul décrirait son expérience, celle d’un homme aux prises avec la Torah, et évaluant sa situation passée à la lumière de ses convictions chrétiennes.
  2. La condition humaine, avec l’écho de l’expérience d’Adam en Gen 2-3, Adam représentant ici le genre humain : les versets 9 et 10 seraient lus de la manière suivante : « J’étais vivant spirituellement avant que la loi [à propos du fruit défendu] ne vienne… et le péché [par l’intermédiaire du serpent] … et alors je mourus [spirituellement]. »
  3. L’expérience chrétienne: Paul, en s’exprimant à la première personne du singulier et au présent à partir du verset 14, décrirait ainsi l’état d’un chrétien. Cette lecture, déjà présente chez Augustin a été popularisée par Luther qui voyait le croyant « à la fois juste et pécheur » ; jusqu’au XXe siècle, les Réformés ont vu dans ce texte l’expérience chrétienne typique.

Le courant piétiste, par réaction à l’interprétation réformée qui ouvrirait trop la porte à une vie de compromis, a vu dans ces versets quelqu’un sur le chemin de la nouvelle naissance (ayant la conviction de péché mais non né de nouveau), ou alors un chrétien, généralement décrit comme jeune converti, se débattant pour essayer d’obéir à la loi par lui-même.

Le style narratif et descriptif ainsi que l’usage du mot « loi » par Paul pour désigner la loi de Moïse (et non pas une loi générale2)fait préférer la ligne 1 et éliminer la ligne 2, sans toutefois écarter l’hypothèse 3 à ce stade.

Ainsi, Paul décrit son expérience, et plus largement celle de l’homme sous la loi, et ce sous deux aspects : d’une part la venue de la loi et ses conséquences (7.7-12), et d’autre part l’échec de la loi, à cause de la chair, à délivrer du pouvoir du péché (7.13-25). En conclusion, dans les versets 7 à 12, Paul décrirait son vécu de l’entrée de la loi dans sa vie, et dans les versets 13 à 25, son expérience quotidienne sous la loi.

La relation entre le péché, la loi et la mort (7.7-12)

Paul reprend le style de questions-réponses du chapitre 6. La question reflète certainement encore une critique essuyée par Paul : s’il enseigne que la loi suscite le péché, ne dit-il pas que la loi est péché en elle-même ? Si Paul affirmait cela, il détruirait effectivement toute continuité entre l’A.T. et le N.T., entre Moïse et Christ. C’est pour cela que sa dénégation est très claire :« Certainement pas ! »

En revanche, la loi amène la connaissance du péché. Plus encore, elle est utilisée par le péché pour accomplir plus de mauvaises actions, selon le phénomène du « fruit défendu » : qui n’a pas expérimenté que lorsque l’on interdit quelque chose à un enfant, il va s’empresser de le faire ! Israël a été stimulé à désobéir : juste après avoir entendu le commandement de ne pas se faire d’idoles, Aaron leur a fait le veau d’or !

Sans loi, on « vit » (on existe) car les péchés ne sont pas encore explicitement pris en compte (5.13), ils ne constituent pas une transgression (4.15). Mais la loi, tournant alors la faute en transgression, confirme et radicalise la mort spirituelle dans laquelle tous gisent depuis Adam. La loi est venue avec des promesses de vie liées à l’obéissance (Lév 18.5 cité en Romains 10.5), mais elle aurait alors dû être parfaitement observée — ce qui était impossible compte tenu du pouvoir du péché. Donc, bien que le commandement soit censé mener à la vie, il conduit à la mort.

Dans cette section, Paul ne laisse aucun doute quant au rang élevé qu’il attribue à la loi, mais, en montrant comment le péché s’en sert pour parvenir à des fins funestes, il la repousse comme moyen de salut et de sanctification.

L’homme déchiré (7.13-25)

Paul, en passant du passé au présent décrit avec beaucoup d’acuité le conflit pratique que fait naître la perception de l’exigence divine et l’incapacité à l’honorer — autrement dit, la division entre le vouloir et le faire. Parce que le « je » est incapable de faire ce que la loi réclame, il se trouve être prisonnier du péché, une situation, dont Dieu en Christ, peut délivrer (7.24 ; 8.1-4). En revanche, Paul montre encore que la loi est incapable de délivrer du péché. Aussi bonne soit elle, elle s’adresse à des gens « de chair », habités et dominés par le péché (7.17,20).

L’enseignement essentiel de l’incapacité de la loi mosaïque à délivrer de la puissance spirituelle du péché peut s’appliquer aux personnes non régénérées (dans le sens qu’elles ne peuvent être sauvées par la loi), et aux personnes régénérées (qui ne peuvent être sanctifiées et délivrées de la puissance du péché par la loi).

Mais qui est cet homme « sous la loi », déchiré entre le vouloir et le faire ? Est-ce l’expérience d’un Juif pieux ou celle d’un chrétien ?

Sans rentrer dans le détail des arguments avancés par les uns et les autres, notons que chaque lecture peut être étayée par des éléments de ce texte.

Cependant, deux arguments nous semblent décisifs pour ne pas y voir la condition et la vie normales d’un chrétien :

– le contraste entre la description du « je » vendu au péché (7.14b) et l’affirmation que le croyant a été délivré du péché (6.8,22) ;

– le contraste entre le « je », « captif de la loi du péché » (7.23) et le croyant, qui a été libéré de la loi du péché (8.2).

Toutes ces expressions décrivent une situation objective, et il est difficile de voir comment elles peuvent être appliquées en même temps à la même personne. Dans les chapitres 6 et 8, Paul établit clairement qu’être libéré du péché et de la loi du péché sont des affirmations vraies pour tout chrétien, même immature. Par ailleurs, l’absence de référence au Saint-Esprit dans cette section est significative.

Même si le croyant continue d’être influencé par ses anciens maîtres, le péché et la chair, il est mort au péché (6.2), n’est plus sous l’empire de la chair (8.9), et a été fait esclave de Dieu (6.22). Cela ne veut pas dire pour autant que le chrétien ne lutte pas avec le péché ! Paul l’établit explicitement (cf. Gal 6.1) et implicitement, par toutes les exhortations contenues dans ses lettres. Les chrétiens ne sont pas totalement délivrés de l’influence du péché, ni de leur propension à servir leurs anciens maîtres, le péché et la chair.

La portée de ce passage peut être difficilement étendue à tous les hommes sans Dieu, puisque la loi mosaïque est le sujet principal du chapitre 7. Ceci explique d’ailleurs le regard positif du « je » sur la loi de Dieu. Paul ne reproche pas aux Juifs de ne pas aimer la loi de Dieu, mais de se tromper sur son intention (10.1-4) et de ne pas y obéir (2.17-29).

Après le verset 13 qui sert de transition, Paul décrit donc, dans les versets 14 à 20, comment, de manière pratique, la loi l’a mené à la mort, comment le péché habite en lui, à tel point que sa personne est divisée entre le vouloir et le faire (7.15,16a,18b,19,20a). Paul ne nie pas sa responsabilité, mais fait l’aveu d’un homme « dépassé » par le pouvoir du péché (« ce n’est plus moi qui produis cela » 7.17b). Sa chair (c’est-à-dire ses membres) n’est pas mauvaise en elle-même, mais elle est le moyen par lequel il pèche et il est dominé par le péché (7.18).

Dans les versets 21 à 23, Paul dépeint une réalité plus objective : il décrit les deux lois3 qui agissent dans le Juif non régénéré :

– la loi de son intelligence, qui discerne dans la loi mosaïque le chemin à suivre (7.22,23a), car les Juifs pieux aimaient la loi (10.2) ;

– puis la loi du péché, qui le contrôle et a gagné la bataille (7.21a,23b) : il est prisonnier de cette dernière.

Paul appelle donc à la délivrance (7.24), puis remercie pour la libération survenue (7.25a), anticipation de la victoire à venir. Il conclut par le résumé de l’état du Juif sous la loi, servant deux maîtres : la loi de Dieu et la loi du péché (7.25b). Le « donc » qui ouvre alors le chapitre 8 fait le lien avec les chapitres précédents : plus de condamnation, de verdict à attendre, car il a été déjà rendu en Christ, et plus de sanction à redouter. Le « maintenant » qui retentit vise l’étape nouvelle dans laquelle les chrétiens, délivrés de la loi, sont entrés, même si l’achèvement glorieux reste objet d’espérance.

* * *

En conclusion, si Paul ne décrit pas ici littéralement la situation d’un chrétien, il dépeint généralement la situation d’échec d’un homme sous la loi. L’application de ce texte peut donc être étendue à tout homme, Juif pieux ou chrétien qui s’efforce d’obéir à la loi en comptant sur ses propres ressources, sans dépendre de l’Esprit de Dieu.

Ainsi, un prédicateur pourrait à la limite prêcher sur ce passage sans même trancher sur l’identité du « je ». En effet, comme chrétiens, nous sommes avertis que la loi mosaïque — et donc toute autre loi ou forme de légalisme — ne saurait nous délivrer du pouvoir du péché. Tout comme l’illusion de pouvoir faire le bien seuls, en suivant une multiplication de règles, de commandements, nous conduira immanquablement à la défaite, et pourra même engendrer une véritable souffrance.

Seule une loi nouvelle, celle de l’Esprit de Dieu, nous délivre de la loi du péché, accomplit la justice de la loi en nous, nous transforme et nous conduit à la vie (8.2,6) !

« Le Créateur, qui est béni éternellement. Amen ! » (Romains 1.25)

Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page
  1. Le terme « chair » décrit ici la manière de vivre en opposition ou en indépendance de Dieu, c’est-à-dire l’homme livré à lui-même, comptant sur ses seules ressources pour diriger sa vie et satisfaire ses besoins.
  2. Dans les versets 21 et 23 le mot « loi » ne désigne pas la loi mosaïque, mais un principe, comme la « loi de la foi » en 3.27.
  3. Dans les versets 21 et 23 le mot « loi » ne désigne pas la loi mosaïque, mais un principe, comme la « loi de la foi » en 3.27.
Dossier : L’Épître aux Romains au cœur de l'Évangile
 

Argaud Christophe
Christophe Argaud, après plusieurs années dans l’industrie médicale, est directeur de la Société Biblique de Genève et de la Maison de la Bible. Il est actif dans son église locale, à Lausanne et s’implique dans diverses conférences, formations bibliques, rencontres de jeunes, etc.