L’autorité, un vide en forme de Dieu, Une approche apologétique
On admet généralement qu’une autorité est nécessaire pour organiser la vie d’une société ou d’un groupe. Cette autorité doit être légitime, c’est-à-dire investie par une autorité supérieure, qui doit elle-même être légitime, c’est-à-dire investie par une autorité encore supérieure. D’où l’inévitable question : Quelle est la source originelle de l’autorité légitime ?
Les chrétiens reconnaissent le Dieu créateur et souverain comme source unique de toute autorité. Mais il est raisonnable de s’interroger : existe-il une autre source d’autorité légitime et satisfaisante ?
Le rejet de l’autorité de Dieu
L’humanité dans son ensemble rejette clairement l’autorité bienveillante et généreuse de Dieu. Cette attitude n’est pas nouvelle : elle remonte au tout début de l’histoire humaine !
Cette autorité, Dieu la détient sur l’univers entier ; c’est lui qui, « au commencement, a créé les cieux et la terre ». Il en est le concepteur, le fabricant, le soutien, le propriétaire, le destinataire. Lui seul possède donc personnellement l’autorité. Il a notamment autorité sur l’homme car il l’a créé ; il l’a béni et installé dans un cadre merveilleux, le jardin d’Éden. Il l’a créé « à son image » et lui a délégué une partie de son autorité (Gen 1.26-28). L’homme devait rester lui-même sous l’autorité protectrice de son créateur (Gen 2.16-17).
Mais Satan a fait une proposition séduisante et même séductrice. Il a expliqué à Adam et Ève : respecter l’autorité de Dieu vous empêche de progresser en connaissance et en intelligence. Si vous voulez la liberté et le progrès, devenez indépendants de Dieu, dépassez la limite qu’il vous a fixée, ignorez son autorité. Ainsi « vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme Dieu » (Gen 3.5).
Adam et Ève avaient été investis de l’autorité de Dieu pour dominer la création. Ils étaient ainsi les premiers maillons d’une chaîne d’autorité ancrée en Dieu : une garantie de qualité absolue, destinée à être transmise ensuite à travers tous les maillons de cette chaîne. Mais ils ont délibérément rejeté cet ancrage. Depuis, l’humanité est à la recherche d’une solution de rechange pour trouver un ancrage, une source, une référence de l’autorité. Si Dieu n’est pas à l’étage supérieur de la hiérarchie, par qui ou par quoi le remplacer ? Qui peut ensuite déléguer cette autorité légitime à des personnes qui, à leur tour, vont la déléguer ou la transmettre ? Qui établit les normes et objectifs de leurs mandats ? Envers qui ces délégués seront-ils finalement redevables pour leur gestion de leur parcelle d’autorité ?
Comment remplacer l’autorité de Dieu ?
L’histoire relève plusieurs sources possibles d’autorité.
La tradition
Certaines sociétés ont des structures profondes : elles sont fondées sur des traditions, c’est-à-dire une histoire, une culture, des valeurs éthiques, un système d’autorité pyramidal fréquemment héréditaire. Tout cela est souvent non-écrit car bien intégré dans la culture. Une personne est en haut du système, elle reste légitime en respectant les traditions ; elle délègue et finalement transmet sa légitimité et son autorité. C’est un fonctionnement de type religieux car il est fondé sur la foi dans une mythologie sacrée ; il s’accompagne de rites de vénération envers des esprits ou des personnes qui incarnent l’autorité légitime.
Dans les pays qui ont des traditions anciennes fortes (monarchies se référant à un « droit divin », ethnies régies par un droit coutumier lié à une « spiritualité »), l’autorité est souvent assez bien acceptée.
Les dictatures du XXe siècle ont remplacé les mythologies fondatrices par des idéologies. Ces idéologies sont de véritables religions laïques ; leurs représentants se sentent investis d’une autorité supérieure pour remplir une mission : imposer et appliquer leur confession de foi idéologique, établir un système de croyances et de pratiques… une néo-tradition.
→ Une autorité fondée sur la tradition a l’avantage d’une certaine stabilité dans ses références et dans son fonctionnement. Mais le surnaturel, l’idéologie, le culte de la personnalité ou encore des accidents de l’histoire l’amènent tôt ou tard à la crise.
La compétence
Il parait assez logique de confier un leadership (une autorité) aux personnes les plus compétentes. C’est d’ailleurs le premier sens du mot aristocratie, « pouvoir des meilleurs » et non « classe sociale privilégiée ». Si un groupe fait face à une difficulté imprévue, la personne qui se montre capable de trouver une solution rapide sera facilement reconnue comme autorité naturelle ; par exemple : Sur un lieu d’accident, les témoins laisseront un passant gérer la situation et ils coopéreront avec lui s’ils savent qu’il est secouriste. On dit aussi qu’un lauréat de Prix Nobel fait autorité… dans sa spécialité.
→ Ce système est logique mais fragile : l’expert n’est pas expert en tout, il n’est pas le seul expert, il n’est pas nécessairement le meilleur expert durant toute sa vie ; il peut avoir des fragilités ou des lacunes qui sapent son autorité. La compétence ne suffit donc pas pour légitimer une autorité.
Le « charisme »
Dans ce cas la personne ne s’impose pas par sa compétence mais par sa personnalité. Elle gagne une emprise sur les autres, elle leur inspire confiance par son langage gestuel et verbal, par ses promesses. Elle rassure ou fascine. On n’est plus dans le rationnel mais dans l’émotionnel.
Un peu de charisme est utile pour qu’un chef parvienne à convaincre et motiver (son pays, ses troupes, son entreprise), s’il est accompagné de compétence. Mais des dictateurs se sont imposés, en utilisant d’abord leur capacité de séduire pour gagner le pouvoir.
→ Le « charisme » est rarement source d’une autorité satisfaisante.
La démocratie
« Le pouvoir du peuple pour le peuple par le peuple » : Le principe est largement reconnu. Le Droit reconnaît le « peuple souverain » comme détenteur de la légitimité fondamentale. Le peuple délègue son autorité à des responsables exécutifs et législatifs ; à leur tour ceux-ci délèguent leur autorité à des subalternes, selon une structure hiérarchique.
Ce mode d’organisation permet-il vraiment de prendre des décisions dans l’intérêt général du groupe à long terme ? Dans le domaine politique, le peuple peut-il échapper à l’influence de groupes qui n’ont pas d’autorité légitime mais détiennent un pouvoir important, comme le monde de la finance et de l’économie et le monde des médias ? Peut-il contrôler le progrès technologique ?
La législation sociétale des démocraties montre une évolution spectaculaire en quelques années. L’autorité encourage ce qu’elle condamnait hier, elle tend à effacer les traces de l’autorité de Dieu une par une. Le législateur n’a en effet plus guère de références morales et éthiques stables. La Loi évolue car elle suit l’évolution de la société, le peuple étant censé détenir l’autorité suprême.
→ Cette autorité n’a pas de conscience, pas de vision, pas de cohérence. Elle exprime l’opinion d’une majorité à un moment donné. Où nous mène-t-elle ?
La force
Dans ce cas, il ne s’agit pas vraiment d’autorité car l’usage (ou la menace) de la force exclut l’adhésion libre des soumis et la légitimité de ceux qui prennent le pouvoir. Le Seigneur a évoqué sévèrement cette méthode (Mat 20.25). L’usage de la force ne peut qu’augmenter lorsque le pouvoir suscite le rejet.
→ La violence ne génère pas une autorité respectée et appréciée, que ce soit dans la famille, l’entreprise, des services administratifs ou un pays.
Pas de bonne solution de rechange
Tradition, compétence, charisme, démocratie et force ne sont donc pas des ancrages pour une chaîne d’autorité légitime, vraiment stable, juste, efficace, prévoyante, bienfaisante, satisfaisante.
L’autorité en crise
Le refus de l’autorité de Dieu et l’absence de bonne solution de rechange ont des conséquences : la « crise de l’autorité ». La « toile » recense des milliers de publications sur les problèmes d’autorité à l’école, dans la famille, dans l’entreprise, dans la cité, dans l’État. Parmi les causes de cette crise, on cite l’humanisme et l’existentialisme qui font de l’individu son propre centre, Mai 68 qui a attaqué toute forme d’autorité, le post-modernisme qui remet en cause la modernité rationaliste prédominante du XXe siècle. On cite également des pages tragiques de l’histoire : Des leaders ont provoqué des catastrophes, en abusant de leur autorité ; leurs subordonnés se sont soumis à leur autorité et ont ainsi commis des atrocités. On cite encore des usages abusifs d’autorité par des personnes dépourvues de bienveillance, avec des conséquences catastrophiques dans des couples et familles, organisations, équipes sportives, entreprises et parfois dans des églises. Et même si l’autorité n’est pas toujours aussi malveillante, elle est suspecte car elle s’oppose à la liberté individuelle.
Cette crise multiplie les paradoxes : on se plaint du manque d’autorité mais on accuse d’autoritarisme ceux qui essaient d’agir. On veut une régulation internationale pour gérer la mondialisation (concurrence, climat, tensions), mais on se méfie de toute ingérence supranationale. On reconnaît la nécessité d’une autorité pour vivre en paix, mais on y reste allergique quand elle nous impose une contrainte ou une limite.
Conclusion
Les pédagogues, sociologues, psychologues, politologues, politiciens, journalistes et philosophes débattent toujours de la question : Comment définir le fondement et le cadre d’une saine autorité ?
Ce problème a-t-il une solution ?
NON, pour le monde, car l’humanité s’est montrée incapable de trouver un système d’autorité efficace et juste. Pourtant elle répète chaque jour l’erreur (péché) d’Adam et Ève : Refuser l’autorité légitime de Dieu, écouter l’influenceur Satan (le « prince de ce monde », Jean 16.11), préférer de fait le statut de « fils de rébellion » (Éph 2.2 ; 5.6). Elle persiste à creuser toujours plus profond un « vide en forme de Dieu » (expression de Pascal, écrivain du XVIIe siècle), un vide qui ne pourrait être rempli que par Dieu.
OUI, pour le disciple de Jésus Christ, car il reconnaît lui-même l’autorité bienveillante de son Seigneur ; il la prêche (Act 28.31), il la vit dans l’Église (Col 1.18). Cette autorité le rassure et le sécurise, comme l’autorité du berger rassure chacune de ses brebis. Quant à « faire des disciples », cela consiste à faire connaître celui qui a reçu toute autorité, c’est enseigner à garder tout ce qu’il commandé.
« Jésus s’approcha et leur dit : Toute autorité m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez, faites des gens de toutes les nations des disciples, baptisez-les pour le nom du Père, du Fils et de l’Esprit saint, et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé. Quant à moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mat 28.18-20, NBS).