Le doute, ennemi ou allié de la foi ?
La foi est l’assurance des choses qu’on espère, et la conviction de celles qu’on ne voit pas (Héb 11.1). La foi est l’assurance des choses qu’on espère, et la conviction de celles qu’on ne voit pas (Héb 11.1).
Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière obscure […] aujourd’hui je connais en partie (extrait de 1 Cor 13.12).
Le premier texte montre le côté absolu de la foi.Si je doute de Dieu et de sa révélation, mon espérance disparaît. Ce doute destructeur est un ennemi.Le deuxième texte met en évidence les limites de mes capacités actuelles : le Saint-Esprit est à l’œuvre pour me révéler Dieu, mais ma vision humaine reste incomplète et floue. Parfois je me laisse égarer par des illusions ou par des influences parasites. Ma perception de la vérité doit donc être vérifiée pour être enrichie, affinée, corrigée ou complétée. Cet examen régulier et volontaire est un doute sain, visant à me rapprocher de la vérité. Ce doute est un allié.
Parfois le doute me surprend : je ne comprends plus ce qui se passe ; je me demande si je me suis trompé ou si on m’a trompé. Cette interrogation plus ou moins anxieuse signifie-t-elle que je laisse le doute refouler ma foi ?Toute question exprime-t-elle un doute ?
Parfois je laisse le doute s’infiltrer dans ma vie alors que je maintiens un « credo » impeccable dans ma tête. Un exemple : si j’affirme « l’assurance des choses que j’espère et la conviction de celles que je ne vois pas » mais qu’en même temps j’organise ma vie uniquement autour d’espérances et de valeurs terrestres, suis-je dans la foi ou dans le doute ?
Exclure le doute
Le premier verset cité (Héb 11.1) pose un fondement absolu, illustré à travers les exemples cités dans le reste de ce chapitre 11 : les affirmations et promesses de Dieu sont sûres. Même si leur accomplissement tarde, il n’y a pas lieu d’en douter, en aucune manière, pour aucune raison, à aucun moment.
En Dieu nous avons les opposés du doute : la certitude, la stabilité et la vérité :
-Il est impossible que Dieu mente (Héb 6.18).
-Toute grâce excellente et tout don parfait descendent d’en haut, du Père des lumières, chez lequel il n’y a ni changement ni ombre de variation (Jac 1.17).
-Nous savons que le Fils de Dieu est venu, et il nous a donné une intelligence afin que nous connaissions le Véritable, et nous sommes dans le Véritable, savoir dans son Fils Jésus Christ, lui est le Dieu véritable et la vie éternelle (1 Jean 5.20 ; cf. Jean 7.28,14.6).
Prévenir le doute
Quittons le domaine du divin pour celui de l’humain. Les limites de nos capacités et les conséquences du péché brouillent un peu la frontière entre certitude et doute.
Demeurer dans les choses apprises
Toi, demeure dans les choses que tu as apprises, et reconnues certaines, sachant de qui tu les as apprises (2 Tim 3.14 ; cf. 2 Tim 2.14)
Paul indique deux caractéristiques de ces choses que Timothée a apprises et doit conserver soigneusement :
• Tu les as reconnues certaines / tu en as été pleinement convaincu : il ne s’agit pas d’un cours à mémoriser. Il s’agit d’une vraie conviction spirituelle. Peut-être Timothée avait-il vérifié ces enseignements en enquêtant dans les Écritures comme les Juifs de Bérée (Act 17.11) ?
• Tu les as apprises d’une source particulièrement fiable (Paul ? cf. Phil 4.9 ; 2 Tim 1.13 ; 2 Tim 2.2). Écoutons surtout des personnes qui ont une vraie autorité spirituelle !
Permettre à l’Esprit de nous communiquer la vérité
Nous n’avons plus Paul parmi nous, mais nous avons un guide infatigable et toujours fiable : le Saint-Esprit. Il nous rappelle ce que Jésus a dit, il nous maintient connectés au Véritable.
-Quand celui-là, l’Esprit de vérité, sera venu, il vous conduira dans toute la vérité […]. Le Consolateur, l’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera toutes choses et vous rappellera toutes les choses que je vous ai dites (Jean 16.13 ; 14.26).
-Nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions les choses que Dieu nous a données par sa grâce. (lire 1 Cor 2.11-15).
La Parole est Vérité (Jean 17.17 ; Éph 1.13). L’Esprit conduit dans la vérité, convainc, rappelle les enseignements du Seigneur, fait connaître les choses que Dieu nous a données. Nous avons les moyens d’accéder directement à la vérité divine ; la conviction donnée par un Saint-Esprit libre d’agir est assez forte pour nous libérer des doutes profonds.
Reste à faire le ménage en moi pour m’assurer que l’Esprit n’est pas « attristé » (Éph 4.30) ou bloqué par des obstacles comme l’orgueil, le refus de pardon, le refus d’accepter toute la Parole de Dieu, la présence d’idoles dans mon cœur …
Être libéré des pièges du doute par la Vérité
Si je ne laisse pas agir le Saint-Esprit en moi, que se passe-t-il ? Je suis laissé à moi-même et je m’expose à d’autres influences spirituelles qui s’infiltrent, des contrefaçons inventées par le père du mensonge : faux-docteurs (2 Tim 4.3 ; 2 Pi 2.1), faux apôtres (2 Cor 11.13), faux frères (Gal 2.4), faux prophètes (1 Jean 4.1), faux ange de lumière (2 Cor 11.14), esprits séducteurs et doctrines de démons (1 Tim 4.1). Leur but est de m’amener à douter de la vérité pour m’égarer (2 Tim 3.13).
L’accusateur veut me faire douter de mon statut d’enfant de Dieu. Il cite peut-être des faits avérés… mais il reste un menteur : rien ne pourra me séparer de l’amour de Dieu (Rom 8.35-37), rien n’empêchera mon avocat auprès du Père de prouver qu’il a déjà porté toutes mes condamnations (1 Jean 2.1).
Fuir le piège du rationalisme, une idolâtrie
Les Européens ont une culture rationaliste. Ils aiment se présenter comme cartésiens, en référence au philosophe Descartes (17e siècle) et à son « doute méthodique » : soumettre toute opinion au filtre de la raison. Cette approche valorise l’intelligence logique et la mémoire. Une survalorisation de ces beaux outils est une idolâtrie car elle les met au-dessus de l’action de l’Esprit ; elle est aussi une fausse doctrine car elle enseigne un rôle du Saint-Esprit bien inférieur à celui qui est décrit dans les versets ci-dessus. Le christianisme rationnalisé produit au mieux du « rationnel », de la sagesse humaine, autrement dit une folie (1 Cor 1.20).L’idolâtrie existe aussi bien entendu sous d’autres formes.
Utiliser le (bon) doute, éviter l’assurance illusoire
Une absence de doute peut révéler une connaissance parfaite de la vérité ; seul Dieu détient cette connaissance parfaite. Elle peut aussi traduire une totale confiance en soi, une incapacité ou un refus de constater une erreur, d’admettre un échec, de reconnaître la précarité et les limites des raisonnements et intuitions. Dans ce cas, l’absence de doute révèle un mélange variable d’arrogance, d’orgueil, de légèreté, d’ignorance, d’inconscience, d’hypocrisie et de mauvaise foi.
L’examen de soi-même
Dieu m’encourage à m’examiner :
Examinez-vous vous-mêmes, pour savoir si vous êtes dans la foi ; éprouvez-vous vous-mêmes (2 Cor 13.5).
Il ne s’agit pas d’une introspection permanente et soupçonneuse, d’un doute de soi qui paralyse et condamne. Je demande à Dieu de me montrer ce qu’il veut transformer :
Sonde-moi, ô Dieu, et connais mon cœur ! Éprouve-moi, et connais mes pensées ! Regarde si je suis sur une mauvaise voie, Et conduis-moi sur la voie de l’éternité ! (Ps 139.23-24).
C’est une mise en doute ponctuelle, dans une attitude générale d’humilité, de soumission et de confiance envers Dieu, notre Père. C’est un doute utile et bienfaisant qui tire vers le haut ; à l’opposé du doute de défiance qui tire vers le bas, vers l’incrédulité et la désobéissance.
La prudence dans la réflexion
La sincérité, les bonnes intentions et les bons sentiments ne mènent pas automatiquement à une conclusion et à une décision justes ! L’indignation légitime et la spontanéité énergique du jeune Moïse l’ont conduit au meurtre (Ex 2.11-12). Josué et le peuple d’Israël ont réagi avec compassion et solidarité avec un peuple errant…. en fait des Cananéens rusés (Jos 9.3-4,16). L’amitié sincère de Pierre lui a fait dire ce que le diable aurait voulu dire à Jésus pour essayer de le décourager (Mat 16.23)
Comme tous les humains, nous nous croyons capables de réfléchir de manière neutre et objective. En fait nous sommes encombrés de « biais cognitifs » . Il s’agit de mécanismes involontaires qui provoquent un filtrage de nos perceptions et une distorsion de nos raisonnements. Par exemple le biais culturel m’amène à privilégier ce qui correspond à la culture de mon groupe ethnique, de mon milieu professionnel, de mon église. De plus notre mémoire n’est pas une référence sûre pour nos réflexions : elle est assez malléable pour effacer, sélectionner, transformer et même inventer des souvenirs. Nous nous croyons rationnels et logiques. Mais nous sommes aussi façonnés par nos sentiments, émotions, préjugés, traditions, partis-pris et intérêts.
Notre difficulté à « produire du 100% pur vrai » nous incite à la prudence, à un doute raisonnable et salutaire.
Distinguer quelques formes de doute
La transition entre incrédulité et foi
Aussitôt le père de l’enfant s’écria : Je crois ! Viens au secours de mon incrédulité ! (Marc 9.24).
C’est la demande d’un « débutant » en foi, mais un disciple reste toujours en apprentissage, en progression (Luc 17.5 ; 2 Thes 1.3). Ce que la foi ne s’est pas encore approprié reste dans une « zone grise », marquée par du doute, de l’incertitude.
L’attente de confirmation pour une étape spéciale
[Gédéon] dit : Je te prie, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, donne-moi un signe que c’est toi qui parles avec moi (Jug 6.17).
Gédéon croit mais a besoin d’une confirmation pour être sûr d’avoir bien compris l’appel de Dieu. Et Dieu accepte, pour l’aider à franchir un seuil majeur dans l’expérience de sa foi.
La dépression
[Élie] alla dans le désert où, après une journée de marche, il s’assit sous un genêt, et demanda la mort, en disant : C’est assez ! Maintenant, Éternel, prends mon âme, car je ne suis pas meilleur que mes pères (1 Rois 19.4).
Élie se sent totalement indigne. Dieu l’a utilisé pour rappeler au peuple qu’il est le vrai Dieu (période sans pluie, démonstration de la puissance de Dieu face aux prophètes de Baal ; cf.1 Rois 18.22-40). Mais la reine Jézabel vient d’invoquer ses dieux en lui annonçant sa détermination à l’éliminer. Élie est démoralisé par un sentiment d’échec et par la menace de la reine. Il demande la mort ! C’est le signe d’une dépression profonde.
N.B. : La dépression spirituelle peut résulter d’un découragement, d’un éloignement spirituel mais aussi d’un mauvais fonctionnement de l’âme ou du corps. Soyons très prudents : cette forme de doute ne vient pas nécessairement d’une faiblesse spirituelle de la personne concernée.
La perplexité
La perplexité est le sentiment d’être dépassé par une situation difficile. On ne sait pas que penser et que faire. Pour désigner cet état d’esprit, le Nouveau Testament emploie le verbe aporein et le nom aporia (litt. absence de passage, d’où le mot français aporie, embarras du discours, impasse dans le raisonnement). Paul l’emploie à deux reprises, à son sujet et au sujet des Galates.
Étant dans la tribulation de toute manière, mais non pas réduits à l’étroit ; dans la perplexité mais non pas sans ressource (2 Cor 4.8 version Darby).
Il a été de fait dans une situation désespérée mais il a gardé sa confiance (foi) en Dieu :
Nous avons été excessivement accablés, au-delà de nos forces, de telle sorte que nous désespérions même de conserver la vie. Et nous regardions comme certain notre arrêt de mort, afin de ne pas placer notre confiance en nous-mêmes, mais de la placer en Dieu qui ressuscite les morts. (2 Cor 1.8-9).
Ce même sentiment de perplexité-confiance apparaît encore :
-Je suis en perplexité à votre sujet (Gal 4.20 version Darby).
-J’ai cette confiance en vous, dans le Seigneur (Gal 5.10).
La perplexité est la conscience que nous sommes au bout de nos ressources et de notre imagination ; elle n’est pas un manque de confiance en Dieu. Elle est bien de l’ordre de l’incertitude mais pas du doute envers Dieu.
L’hésitation, difficulté à choisir et décider
Mais celui qui a des doutes (Darby : hésite) au sujet de ce qu’il mange est condamné, parce qu’il n’agit pas par conviction (ou : principe de foi). Tout ce qui n’est pas le produit d’une conviction est péché (Rom 14.23).
Certains croyants juifs ont été élevés dans le respect des prescriptions cérémonielles de la loi. Ils sont maintenant sous la grâce, libérés de ces prescriptions ; mais ils hésitent, ils sont encore en transition entre la loi et la grâce. Renoncer aux prescriptions alimentaires de la loi est une telle rupture avec leur vie de Juifs zélés que leur comportement ne s’est pas encore ajusté à leur foi. Il ne faut pas les forcer !
Jacques recommande qu’en cas de manque de sagesse on en demande à Dieu… mais sans douter (Jac 1.5-8). Autrement dit : si vous demandez quelque chose à Dieu, ne cherchez pas en même temps à trouver des solutions sans lui. Vous risquez de ne pas arriver à faire un choix stable pour l’une de ces solutions que vous allez successivement imaginer ou essayer. Le doute commence dans l’ambivalence entre compter sur Dieu et compter sur soi. Il devient confusion quand nos idées successives nous conduisent à l’indécision et à l’instabilité.
L’ambivalence
Matthieu utilise à deux reprises un mot qui désigne une ambivalence (dualité), deux pensées opposées présentes en même temps : dans les deux cas une foi intense coexiste avec un sentiment déstabilisant de précarité, de perplexité, d’incertitude.
Ce n’est pas une hésitation paralysante entre croire oune pas croire ; c’est un mélange de foi dynamique et d’incertitude.
-Aussitôt Jésus étendit la main, le saisit, et lui dit : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? (Mat 14.31).
-Quand ils le virent, ils l’adorèrent. Mais quelques-uns eurent des doutes (Mat 28.17).
Pierre a eu une foi extraordinaire en qualité mais limitée en quantité-durée ; le doute l’a rattrapé à mi-chemin entre la barque et Jésus. Pourtant il a reçu peu après les clés du royaume des cieux ! (Mat 16.19).
Les disciples ont obéi, ils se sont rendus de Jérusalem jusqu’en Galilée, sur la montagne que Jésus leur avait désignée (Mat 28.7,16) ; ils se prosternent et l’adorent ; ils démontrent ainsi leur foi. Un certain flottement apparaît cependant : ils sont probablement très impressionnés par ce « nouveau Jésus » et perplexes sur la suite des événements. Jésus s’approche d’eux, leur parle, les rassure et aussitôt leur confie la grande mission de faire des disciples. Quelle grâce de sa part !
Le doute « chrétiennement correct »
Il existe une forme invisible et inaudible du doute ; le doute banal, normal, ordinaire, modeste et humble. Un doute qui s’encourage dans les amitiés de groupes homogènes, qui se justifie dans des échanges bien cadrés, qui se réjouit en se contemplant dans des miroirs rassurants ;un doute par abstention. C’est le doute de l’indifférence par rapport à une partie de la Parole de Dieu. Je sais par exemple que Dieu veut me donner une nouvelle identité, me transformer à l’image de son Fils, me libérer de tout lien. Je sais que le Saint-Esprit habite en moi (Rom 8.9,11 ; 1 Cor 3.16 ; 2 Tim 1.14) ; je sais que Dieu est mon Père. Dans la réalité, où est mon curseur entre la foi totale et le déni radical sur ces points ? Quelque part dans la zone grise conciliant étrangement l’acceptation virtuelle et le doute réel. Une vie de « bon chrétien » religieux ou charnel exprime beaucoup de doute sur l’œuvre de Christ, sur la sainteté et l’amour de Dieu. Commettre un péché « en cachette », c’est douter de la toute-connaissance de Dieu.
Ce doute non verbalisé est proche de l’incrédulité. Pourtant il est souvent excusé au nom de la « faiblesse ». C’est bien une faiblesse… de la foi. Or une petite foi est une foi qui recule devant le doute !
Conclusion
Le Seigneur n’a pas connu le doute ; mais il a connu pire : le trouble (Jean 12.27), l’angoisse du combat (agonie, Luc 22.44), l’abandon, la détresse, des souffrances physiques et morales intenses. Il peut donc nous encourager dans « l’aujourd’hui », nous aider à surmonter nos doutes. Et nous attendons le jour où disparaîtront les doutes des questions sans réponse. Reprenons le verset cité en introduction, mais cette fois complet :
Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière obscure, mais alors nous verrons face à face ; aujourd’hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j’ai été connu (1 Cor 13.12).