Dossier: Le chrétien et la politique
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Un pasteur au Parlement français

Thierry Le Gall, au CNEF, le Conseil national des évangéliques de France, vous êtes responsable du service pastoral auprès des parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat. Pouvez-vous d’abord nous retracer votre parcours ?

J’ai grandi dans une famille catholique pieuse influencée par la doctrine sociale de l’Église. Converti à 15 ans, j’ai mené pendant 17 ans une carrière dans la communication au sein d’un groupe agro-alimentaire.
Le désir de servir Dieu m’a conduit ensuite à devenir pasteur au sein des Assemblées de Dieu. J’ai aussi développé la communication de ce groupement d’églises, puis en 2011, le CNEF m’a contacté pour devenir leur directeur de la communication.
J’ai eu ensuite avec mon épouse la conviction qu’il serait utile d’avoir un ministère pastoral auprès des parlementaires. Après deux ans de réflexion et de prières, après décision du CNEF de créer un service d’aumônerie évangélique parlementaire j’ai commencé en 2015 un ministère à mi-temps auprès d’eux, qui s’est transformé ensuite en un service à temps plein. J’ai bénéficié de l’expérience de Georgina Dufoix, ancienne ministre de François Mitterrand, ainsi que de mes homologues à Berne et de Dick Forth qui a été en poste à la Maison Blanche pendant des années.
L’an dernier, j’ai suivi une formation certifiante à SciencesPo, Emouna, lancée avec le concours du ministère de l’Intérieur, qui rassemblait 30 représentants de divers courants religieux, du catholicisme au bouddhisme. Cette formation m’a permis de mieux comprendre le cadre républicain français ainsi que le fonctionnement de ces autres religions et surtout d’établir des contacts intéressants. Aujourd’hui, en France, le christianisme n’est plus qu’une proposition parmi d’autres et, même si je suis pleinement convaincu que Jésus est le chemin, la vérité et la vie, je dois réapprendre à le dire. J’ai dû adapter mon témoignage face à des personnes qui ont des convictions aussi fortes que les miennes.

En quoi consiste votre service auprès des parlementaires ?

J’ai une attitude proactive, empreinte de bienveillance et de respect de l’identité de chacun. Je sollicite des rendez-vous ou l’on me sollicite directement. L’entretien commence souvent par une clarification : qui sont vraiment les évangéliques ? C’est l’occasion pour moi de décrire la nature du monde évangélique, le mode de formation des pasteurs, le financement des églises, les origines ethniques, les positions éthiques, etc. — et de tordre le cou aux clichés qui nous desservent !
Souvent, l’entretien glisse vers des sujets plus personnels et mon rôle devient plus « pastoral ». D’un entretien qui implique en général les assistants du parlementaire, on passe alors au tête à tête et « quand la porte se ferme, le cœur s’ouvre ». Il voit alors en moi non plus uniquement un représentant du monde évangélique mais un simple pasteur, un aumônier qui accompagne l’élu dans son humanité. La soif de spiritualité est réelle dans ces sphères.
Mon rôle n’est cependant pas de faire du lobbying pour les thèses évangéliques : quand je suis interrogé par un parlementaire sur la vision des évangéliques sur un sujet donné, après une information générale, je me contente de le mettre en relation avec les personnes ou les structures compétentes, comme Portes Ouvertes sur la persécution des chrétiens dans le monde, le CPDH sur des questions de fin de vie, les associations familiales protestantes ou de lutte contre l’exclusion qui sont membres du CNEF, etc. Ces différentes instances sont découvertes et appréciées par les élus qui sollicitent ces dernières pour les aider à structurer leur réflexion ; cet échange peut à terme déboucher sur des amendements. Mais mon rôle à moi reste essentiellement pastoral.

Comment ce travail s’articule-t-il avec l’action du CNEF et les églises adhérentes ?

Il a déjà fallu une certaine dose de persuasion pour convaincre les responsables d’unions d’églises du CNEF de l’utilité d’une telle aumônerie.
L’enjeu est de développer la visibilité publique des évangéliques pour éviter qu’ils soient victimes de stigmatisations. Nous sommes d’ailleurs en partie responsables de ces dernières car le piétisme qui est largement à la base de notre théologie nous a enseigné pendant des décennies à nous séparer du monde et nous avons compris cette séparation non seulement comme une vie séparée du péché, mais aussi comme une vie coupée de la société. Cette perception évolue et de plus en plus d’évangéliques, en particulier parmi les jeunes, s’engagent dans les milieux associatifs ou dans les conseils municipaux.
Je travaille également à faciliter les relations entre les églises locales et les élus locaux qui ont longtemps été inexistantes, d’où une méfiance réciproque. J’encourage mes collègues pasteurs à aller voir non seulement leur maire (ce que plusieurs font déjà) mais aussi leur député ou leur sénateur. Les évangéliques ont tout à y gagner. Je relaie ce message en interne, dans les réunions institutionnelles du CNEF ou vis-à-vis des délégués.
Je reçois aussi des demandes de conseil pour des questions juridiques sur lesquelles le CNEF est bien équipé.
Je fais également des sensibilisations à la laïcité. Beaucoup de chrétiens s’auto-censurent en pensant que la laïcité est du laïcisme qui interdit de parler de ses opinions en public. À ce sujet,les petits livrets de vulgarisation que le CNEF a publiés, Libre de le dire, listent nos droits. D’autres chrétiens font des erreurs, par exemple en parlant de leur foi pendant le temps de travail, ce qui est interdit. Les pasteurs sont très demandeurs de ces présentations, ce qui témoigne d’une prise de conscience et d’un souci de formation de leurs équipes ou de leurs églises, dans une optique de changement de paradigme dans le rapport à la cité.

Que dites-vous aux chrétiens évangéliques qui pensent qu’il vaut mieux se tenir éloigné de la politique car elle représente « le monde » qui est sous l’influence du diable ?

Je suis souvent invité pour présenter mon ministère dans les églises locales et je rencontre en effet ce type de réaction. Ma réponse s’appuie sur trois textes bibliques :
– Matthieu 25.40 : Je comprends le terme « frères » au sens large, sans le limiter aux seuls croyants. Les chrétiens ont joué et doivent continuer à jouer un grand rôle dans les gestes de solidarité dans le monde.
– Jérémie 29.7 : Comme les croyants exilés en Babylonie, nous avons une responsabilité vis-à-vis de nos élus et de nos dignitaires. J’insiste sur le fait que nous avons à ne pas céder au biais bien français de critique de nos élites et d’insistance sur nos droits en oubliant nos devoirs…
– 2 Chroniques 7.14 : Il faut prendre conscience que la communauté des chrétiens a un rôle spirituel et prophétique à jouer dans le pays où elle est placée. Si les chrétiens français se mobilisent pour prier pour la nation, il se passera des choses !
Je constate également une tendance opposée, poussée par une minorité assez militante, qui voudrait que les chrétiens soient au pouvoir pour faire adopter des lois chrétiennes. Ils sont dans une vision prophétique illusoire de l’installation d’une théocratie. Je les sensibilise alors au fait que ce que nous voulons pour nous doit être recevable et bon pour l’ensemble de la population. Comment alors imposer une religion à tous sans en arriver à des dictatures et des persécutions qui sont des perversions de la doctrine chrétienne ?
Le positionnement du CNEF est donc missionnaire — être « sel et lumière » — mais non partisan ni militant.

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Le Gall Thierry
Thierry Le Gall, au CNEF, le Conseil national des évangéliques de France, est responsable du service pastoral auprès des parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat.