Dossier: Le livre de Job
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Contradictions ou parfait équilibre : quelques réflexions sur les liens entre Job, Proverbes et l’Ecclésiaste

Une mauvaise compréhension et une application erronée des Écritures peuvent semer la confusion dans la vie d’une personne et la blesser profondément.

Les bergers qui aiment vraiment leur troupeau s’attacheront donc non seulement à enseigner les Écritures fidèlement, mais aussi à les appliquer au peuple de Dieu avec beaucoup de soin et de précision. L’application est aussi importante que l’enseignement, comme nous le voyons dans le cas de Job et de ses supposés consolateurs : ils sont venus vers lui avec des paroles orthodoxes, mais les ont mal appliquées, ce qui n’a fait que raviver la douleur de Job et enflammer la colère de Dieu (Job 42.7).
Cette question devient cruciale lorsque nous considérons les différences entre Proverbes, Job et Ecclésiaste. Les Proverbes offrent des promesses rassurantes et pleines d’espoir, comme : « Aucun malheur n’arrive au juste, mais les méchants sont accablés de maux. » (Prov 12.21) Toutefois le livre de Job fait le portrait d’un des hommes les plus justes de la terre qui endure un poids de souffrances qui dépasse l’expérience de la plupart des hommes (Job 1.8). L’Ecclésiaste complique encore la question en déclarant, d’un ton désespérément stoïque, que rien n’a vraiment de sens.
Des promesses telles que Proverbes 21.5 (« Les projets de l’homme diligent ne mènent qu’à l’abondance, mais celui qui agit avec précipitation n’arrive qu’à la disette ») ne semblent pas toujours vraies — ou au moins, ont besoin d’être relativisées. Job, sans aucun doute, a fait l’expérience de l’accomplissement de cette promesse car il était un homme d’une grande richesse, richesse qu’il a apparemment accumulée par des moyens honnêtes. Ce n’est cependant pas sa « précipitation » qui l’a conduit à la pauvreté ; ce fut le feu du ciel : un événement qu’il ne maîtrisait pas. L’Ecclésiaste, d’autre part, souligne qu’une abondance de richesses n’est rien de plus que « vanité et poursuite du vent », alors qu’importe d’être riche ou non ?

Que devons-nous alors penser ?

La sagesse des Proverbes est-elle donc annulée par le réalisme de Job et le pessimisme de l’Ecclésiaste ? N’est-ce pas une perte de temps de mettre sa confiance dans les promesses des Proverbes et de chercher à vivre une vie de sagesse ? Pourquoi s’embarrasser de justice si elle n’apporte pas les bénédictions qu’elle promet — pire encore, si elle sert en fait d’incitation à Dieu pour permettre aux forces démoniaques de tester la qualité de cette justice ? Ou encore plus décourageant : pourquoi même se préoccuper de cette question ?
Il existe cependant un autre danger potentiel : non seulement on peut négliger la sagesse des Proverbes, mais on peut aussi l’appliquer à tort. Assurément, il n’est pas nécessaire d’aller très loin pour trouver cette fâcheuse tendance chez des croyants bien intentionnés mais terriblement ignorants. Par exemple, si l’enfant d’un couple chrétien mène une vie dévergondée, loin du Seigneur et des principes bibliques, un membre de leur église pourrait remettre en question l’éducation qu’ils ont donnée à leur enfant : « La Bible ne dit-elle pas : “Instruis l’enfant selon la voie qu’il doit suivre ; et quand il sera vieux, il ne s’en détournera pas” ? Que se passe-t-il donc ? N’avez-vous pas instruit votre enfant dans la bonne voie ? » Au lieu de pleurer avec ces parents, ce protecteur auto-proclamé de l’orthodoxie biblique aviverait encore leur souffrance en remettant en cause leur éducation. Oh combien cette personne aurait plutôt dû lire et méditer sa Bible plus profondément !
La réalité de la souffrance de Job et la vision pessimiste de l’Ecclésiaste contrebalancent la sagesse des Proverbes et ajoutent un point majeur : “mais il n’en est pas toujours ainsi”. Nous vivons dans un monde où Dieu règne, et sous ce règne, le monde fonctionne d’une certaine manière : le travail acharné produit l’abondance et l’éducation pieuse produit une progéniture pieuse. Néanmoins, nous vivons également dans un monde marqué par le péché et par la chute qui a bouleversé son équilibre. Un travail acharné apportera probablement l’abondance et une bonne éducation engendrera probablement des enfants fidèles ; mais il se peut que ce ne soit pas le cas ; la richesse ou les enfants que vous avez pourraient être anéantis par une tempête de feu. Sans oublier que la justice n’amène pas toujours le bénéfice temporel que nous attendrions d’une simple lecture des Proverbes.
Les conséquences dans la prédication, la relation d’aide et la vie chrétienne en général sont donc énormes. La question que les pasteurs doivent se poser, à laquelle il a déjà été fait allusion, est : Comment appliquer les promesses assurées et réconfortantes des Proverbes à la lumière de la réalité crue de Job et du cynisme implacable de l’Ecclésiaste ?

Comment devons-nous enseigner les Proverbes, Job et l’Ecclésiaste ?

Premièrement, il est préférable de laisser à chaque livre sa pleine force.

Faisons attention à ne pas émousser la Parole de Dieu en tentant de la sauver de ses incohérences apparentes. Kidner souligne que « cette poursuite résolue de leurs objets respectifs est typique de la façon de faire de l’Ancien Testament. Il tend à présenter un aspect à la fois, à le dire avec le maximum de force et à laisser le déséquilibre résultant être corrigé en temps voulu par un contrepoids tout aussi fort. De cette façon, on rend davantage justice à un sujet complexe qu’en cherchant une présentation intermédiaire entre deux extrêmes. Cette façon de faire donne également de la couleur et de la vitalité, contrairement au style alambiqué dans lequel on tomberait si chaque déclaration devait être nuancée dès qu’elle est avancée. »
Aussi attrayant qu’il puisse paraître d’aplanir la Bible en gommant ses aspérités, mieux vaut suivre l’exemple de l’ Ancien Testament et permettre à Dieu d’équilibrer sa propre Parole en prêchant la vérité de chaque livre entièrement. Ajouter des nuances serait émousser le scalpel. Un scalpel tranchant et propre créera une blessure qui peut facilement guérir, tandis que les bords dentelés d’un couteau émoussé feront des dégâts importants et inutiles qui nuiront gravement au patient.
Quelles en sont donc les implications pour chacun de ces livres ?
Avec les Proverbes, nous présenterons sans complexe les bénédictions et les bienfaits qu’amène une vie dans la sagesse et les tristesses et difficultés qu’entraîne son rejet. Un homme diligent acquerra des richesses (Prov 13.4) et un père sage engendrera un fils sage (Prov 22.15 ; 23.14-15 ; 29.15) ; tandis que le paresseux héritera de la pauvreté (Prov 13.4) et un père négligent élèvera un fils rebelle (Prov 29.15). Une vie de sagesse n’est pas seulement agréable (Prov 2.10), elle découle d’une bonne relation avec Dieu (Prov 1.7).
Avec Job, nous montrerons à nos auditeurs qu’il est possible qu’un homme bon et pieux puisse souffrir dans cette vie — et souffrir gravement — mais que Dieu contrôle complètement la situation. Nous démontrerons que, lorsqu’un homme souffre, ce n’est peut-être pas à cause de son péché ; ce peut même être le résultat de sa justice (Job 1.8).
Avec l‘Ecclésiaste, nous amènerons nos auditeurs dans le monde de l’homme sans Dieu et les inviterons à examiner son existence inutile et vaine, afin de leur montrer que sans Dieu, la vie n’a que peu ou pas de sens. Mais nous décrirons également la réalité, brutale mais vraie, que les sages et les insensés mourront tous (Ecc 2.12-17), et que, dans un monde déchu, il est possible que l’on trouve la méchanceté à la place de la justice et de la droiture (Ecc 3.16).
Nuancer constamment après chaque affirmation de ces livres afin de maintenir l’équilibre, priverait en fin de compte chaque texte de sa puissance et saboterait la démarche visant à mettre les textes en cohérence. Ce n’est que si les textes sont proclamés dans leur plénitude qu’ils s’équilibreront dans le cœur et l’esprit de notre auditoire.

Deuxièmement, nous devons maintenir une compréhension canonique de ces trois textes.

« Certaines de ces dissonances nous poussent à aller vers le Nouveau Testament ; d’autres encore sont toujours notre lot, exprimant les “douleurs de l’enfantement” (Rom 8.23) que le Nouveau Testament lui-même accepte comme inhérentes à la période actuelle.1 » Sinon, comment pouvons-nous comprendre des promesses telles que Proverbes 11.23, « Le désir des justes finit seulement dans le bien »2 ? Comment cela peut-il être vrai si ce juste souffre sans relâche pendant toute sa vie, jusqu’à sa mort ? C’est parce que leur « désir » est Dieu lui-même, qu’ils posséderont inévitablement, même au moment où leur « fin » n’apparaît pas « bonne » ; en effet, leur mort est un « gain ». La souffrance de Job trouvera son soulagement et sa justification dans la gloire éternelle, alors que la vie vaine de l’Ecclésiaste sera finalement engloutie par la vie éternelle et que toutes les injustices du monde seront réparées par le Juge suprême.

Troisièmement, nous devons encourager et exhorter le peuple de Dieu à adopter pleinement et sans compromis les trois livres.

Il n’est pas sage de tirer la conclusion subtile suivante : « Comme il est possible que mes enfants ne persévèrent pas dans la façon dont je les éduque, alors peu importe mon éducation. » Jamais ça ! L’incertitude quant à l’accomplissement temporel de la promesse ne doit pas diminuer notre empressement à obéir au commandement. Un cœur obéissant cherchera à accomplir les commandements et s’efforcera de glorifier Dieu par une vie de sagesse, tout en continuant à adorer Dieu dans les périodes pendant lesquelles notre vie de sagesse est déçue (Job 1.20-21).
D’un autre côté, Dieu est probablement tout aussi déshonoré si on est polarisé sur la sagesse au point de méconnaître la douleur du désespoir sans but de ceux qui sont loin de leur Créateur. Par conséquent, un chrétien ne doit pas seulement obéir aux Proverbes avec passion et prendre à cœur le message de Job pour continuer à croire au milieu d’une grande épreuve ; il doit aussi recevoir l’Ecclésiaste afin de goûter la coupe amère de ceux qui vivent dans ce monde en dehors du vrai sens et du vrai but de la vie.
Enfin, chaque livre doit être compris comme un écrit de « sagesse ». Au fond, la sagesse est la capacité de bien vivre dans ce monde. Or non seulement les Proverbes, mais aussi Job et l’Ecclésiaste, sont des livres de sagesse parce que tous les trois nous enseignent la réalité telle qu’elle est et nous donnent un aperçu de la façon dont le monde fonctionne afin que nous puissions mieux y vivre.
Oui, il est vrai que dans un monde gouverné par l’Éternel, la justice sera récompensée et l’injustice punie ; mais il est également vrai que le même monde gouverné par l’Éternel a connu une chute qui nous a mis dans une situation où une partie de cette récompense et une partie de cette punition doivent être reportées pour une courte période et finalement réglées au jugement final.

Conclusion

Alors que nous combattons avec nos frères et sœurs, que nous vivons avec eux et que nous les enseignons, nos joies, nos pleurs, nos suppositions et nos instructions doivent être guidés par une compréhension d’ensemble et une application délicate de la Parole de Dieu. Qu’il est dangereux de promettre ce qui n’est pas vrai, d’encourager la négligence ou de faire de fausses suppositions au sujet des personnes en souffrance ! Que notre enseignement et nos conseils puissent être une manifestation de la vérité à ceux qui ont le cœur brisé, en sachant qu’il y a un temps pour pleurer et un temps pour rire ; il y a un temps pour parler et un temps pour se taire (Ecc 3.4,7).

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  1. Derek Kidner, The Wisdom of Proverbs, Job and Ecclesiastes, p.124.
  2. Traduction littérale de la NIV, version anglaise utilisée par l’auteur de l’article. (NDT)
Dossier : Le livre de Job
 
Brown Dareck.J
Derek Brown a un doctorat en théologie du Southern Baptist Theological Seminary. Il est pasteur associé de la Creekside Bible Church à Cupertino (Californie) ; il est également doyen des études du Cornerstone Bible College and Seminary à Vallejo (Californie). Il vit avec sa femme et leurs 3 enfants à San José (Californie).