Jérémie et la réforme de Josias (Jérémie 3.6-4.4)
La première période du ministère de Jérémie, sous le règne du roi réformateur Josias, est délicate à cerner. Le texte de Jérémie 3.6 à 4.4 date de cette époque et son message est un puissant appel à revenir à Dieu. Les parties poétiques entremêlées et les images utilisées illustrent un message particulièrement touchant. Jérémie y reprend des thèmes des prophètes du siècle précédent et développe des pensées qui trouveront leur épanouissement dans la suite de son ministère. Enfin les avertissements et les promesses qui y sont révélés sont tout à fait d’actualité pour l’Église d’aujourd’hui.
Contexte historique
L’appel de Jérémie date de la treizième année du règne de Josias, vers 627 (1.1), c’est-à-dire l’année qui suit le début de la réforme entamée par ce roi pieux. Josias a commencé à purifier Juda et Jérusalem de l’idolâtrie (2 Chr 34.3). Cette réforme était devenue nécessaire suite au long règne de Manassé (plus d’un demi-siècle) marqué par un développement de l’idolâtrie sous de multiples formes. Le court règne d’Amon, père de Josias, a suivi le même chemin.
Josias va entreprendre la restauration du temple de Jérusalem et la bouleversante découverte du livre de la Loi dans le temple, en 622, va accélérer la politique de réforme : célébration de la Pâque comme elle n’avait plus été célébrée depuis l’époque de Samuel (2 Chr 35.18), poursuite des efforts de destruction de l’idolâtrie au-delà même du territoire de Juda, dans les anciennes possessions d’Israël. Ce zèle au-delà des frontières du royaume a pu être facilité par le déclin rapide de l’empire assyrien qui relâchait sa pression sur les territoires du nord.
C’est en effet une période de troubles au niveau international. L’affaiblissement de l’empire assyrien qui dominait depuis deux siècles est suivi par la montée en puissance du royaume de Babylone.
En 609, soit 18 ans après la vocation du prophète, Josias meurt à la bataille de Meguiddo en voulant arrêter la progression du Pharaon Néco. Le nouveau roi Jojakim, choisit par le pharaon à la place de son frère Joachaz, n’a pas les qualités morales de son père (22.13-19) ; il fait preuve de mépris pour la parole de Dieu et persécute ses prophètes (cf. 26.20-23 ; 36.20-26).
Jérémie et la réforme de Josias
On sait peu de choses précises sur Jérémie dans cette période. Après la découverte du livre de la Loi en 622, c’est la prophétesse Hulda qui est consultée par les envoyés du roi. D’ailleurs, Jérémie n’est pas mentionné par le livre des Rois : était-il encore trop jeune (1.6) ? En revanche, il est cité par les Chroniques pour avoir écrit une complainte à la mort du roi Josias (2 Chr 35.25).
Le début de son ministère semble essentiellement oral. Les paroles qu’il a prononcées durant l’époque de Josias ne seront mises par écrit, par l’intermédiaire de Baruc, que la quatrième année du règne de Jojakim (36.2). On considère généralement que les ch. 2 à 6 correspondent à la période de Josias, donc à l’époque de la réforme. Un seul verset mentionne, d’ailleurs de façon assez vague : « au temps du roi Josias » (3.6).
Des paroles de jugement jalonnent ces chapitres. L’idolâtrie du peuple, son apostasie, le rejet de l’alliance, du point de vue tant moral et social que religieux, conduisent l’Éternel dans sa justice à punir le peuple élu, selon les termes de l’alliance. Ce jugement amènera la destruction de Jérusalem et la déportation du peuple. La Bible Annotée commente ainsi le verset 8 du chapitre 2 : « On peut s’étonner qu’une pareille décadence du culte soit signalée sous le pieux roi Josias ; cela prouve que les réformes ordonnées par lui n’avaient pas été réellement acceptées par le peuple. »[1]
Appel à revenir, structure poétique et métaphores
Au milieu des oracles de jugement, la section de 3.6 à 4.4 contient de vibrants appels. Le verbe « revenir » en constitue le fil conducteur. Beaucoup utilisé par Jérémie (114 fois contre 1067 dans tout l’Ancien Testament), il revient 11 fois entre 3.1 et 4.4. L’hébreu shuwb signifie à la fois revenir (de l’exil) et se repentir (du mal). C’est tantôt une promesse, tantôt un appel.
« Pour faire entrer dans l’âme de ses auditeurs le message que Dieu lui inspire, le jeune prophète trouve une multitude de comparaisons frappantes, d’images à la fois très simples et d’une poésie intense, qui ne pouvaient manquer de faire grande impression sur les esprits. »[2] Si ces formes poétiques nous parlent peu aujourd’hui, soyons conscients qu’elles produisaient leur effet sur les auditeurs de l’époque.
Ces structures poétiques fonctionnent par répétition. Quelques exemples :
– 3.1-2a répond à 3.2b-5 en mettant l’accent sur les termes « souillé », « prostituée », « nombreux amants » ;
– en 3.23-25, la repentance est exprimée par les contrastes répétitifs : « l’Éternel, notre Dieu » revient 4 fois et « honte » 2 fois ;
– en 4.1-4, le verbe « ôter » (en hébreu cuwr) pose les conditions d’un vrai retour : « si tu ôtes tes abominations » et « ôtez le prépuce de vos cœurs » (Darby).
Jérémie utilise des métaphores de femmes infidèles et l’image des relations filiales pour souligner à la fois l’amour de Dieu et la profondeur de la trahison, de l’ingratitude du peuple aimé :
– En 3.1-5, le retour de la femme infidèle n’est pas sincère. Il n’y a pas de repentir : « tu n’as pas voulu avoir honte » (3.3), « tout en continuant à faire le mal » (3.5, Segond 21).
– En 3.6-13, Israël, le royaume du nord, et Juda, le royaume du sud, sont figurés par deux sœurs, mariées à l’Eternel. Le jugement qui a atteint l’infidèle Israël est une allusion directe à la destruction de Samarie un siècle plus tôt et à la déportation des dix tribus par les Assyriens. Juda n’en a finalement pas tiré de leçon. Non seulement, elle a fait la même chose, mais son retour — allusion à la réforme menée par Josias — n’est pas « de tout son cœur ; c’est avec fausseté » (3.10).
– 3.20 vient conclure cette métaphore : « Comme une femme trahit son compagnon, vous m’avez trahi, communauté d’Israël, déclare l’Éternel. » (Segond 21)
La relation père-fils est aussi évoquée avec cet appel pressant répété : « Revenez enfants rebelles ! » avec deux promesses de bénédictions : « Je vous prendrai … je vous ramènerai … je vous donnerai des bergers selon mon cœur » et « Je pardonnerai vos infidélités. » (3.14,22) Quand rien ne va plus, l’Éternel n’est pas sans ressource. Si le jugement est inéluctable, malgré les appels à revenir, à se repentir, la fidélité de Dieu est inaltérable et les promesses de bénédictions sont prononcées pour les générations à venir.
Une révélation progressive
Jérémie se situe directement dans la ligne des grands prophètes du viiie siècle, Osée, Amos, Michée et Ésaïe : il prêche la justice de l’Éternel et son amour qui reste fidèle malgré les infidélités de son peuple. Jérémie a sans aucun doute reçu son inspiration directement de Dieu, mais aussi à travers les écrits des prophètes qui l’ont précédé.
Comme Osée (Osée 1 à 3), Jérémie développe cette pensée de l’alliance, considérée comme un mariage de l’Éternel avec Israël. « L’Éternel n’a jamais oublié cette alliance ; elle est toujours restée le fondement de ses relations avec le peuple élu. Jamais il n’a cessé d’aimer Israël, d’un amour toujours en éveil, d’un amour qui espère toujours, même aux jours, où, pour le bien de la nation aimée, il doit se traduire par des punitions sévères. »[3] De la même façon, Jérémie réutilise l’image de la relation filiale (voir Osée 11.1).
Faisant suite à Osée 10.12, Jérémie interpelle : « Défrichez-vous un champ nouveau, ne semez pas parmi les épines ! »
Comme Amos, Jérémie révèle la bénédiction qui rassemblera Israël et Juda (3.18 ; Amos 9.8-15). La bénédiction s’étend alors aux nations : « Toutes les nations s’assembleront à Jérusalem, au nom de l’Éternel, et elles ne suivront plus les penchants de leur mauvais cœur. » (3.17) C’est la guérison pour Israël réunifié et pour toutes les nations : annonce du salut et réalisation de la promesse faite à Abraham (Gen 12.3).
Une progression qui se développe
Jérémie annonce que l’arche, symbole de la présence de Dieu au milieu de son peuple, va disparaître et qu’on ne la reconstruira plus (3.16). Historiquement, on ne sait pas ce qu’elle est devenue et les légendes ne manquent pas (cachée par Jérémie au Mont Nebo, volée, emportée en Éthiopie, enfouie sous le mont du temple…).
Comme au temps d’Ézéchias où le serpent d’airain était devenu un objet de vénération (2 Rois 18.4), les mentalités idolâtres n’ayant pas été changées par la réforme de Josias, les cœurs se tournent vers les objets ou les ustensiles du culte à l’Éternel pour en faire des objets de superstition.
Dans le même courant de pensée, Jérémie dénoncera au début du règne de Jojakim l’attachement charnel au temple de Jérusalem (ch. 7 et 26) : on pratique le mal et on vient à l’Éternel pour trouver refuge, s’appuyant à tort sur le souvenir de la délivrance miraculeuse accomplie sous le règne du pieux Ézéchias.
Jérémie nous conduit vers une spiritualisation de la foi, la détournant des objets du culte pour la tourner vers ce que représentent ces objets, Dieu lui-même. « On appellera Jérusalem trône de l’Éternel. » (3.17) Ces textes préparent Jean 4.21-24 où le Père cherche des adorateurs qui l’adorent en esprit et en vérité, et Apocalypse 21.22-24 où le Seigneur Dieu Tout-Puissant est le temple de la sainte cité, ainsi que l’Agneau.
La section qui va de 3.21 à 4.4 introduit un autre développement, celui de la repentance. Les appels de Dieu ont été entendus et le peuple revient. Les idoles trompeuses ont amené la désolation, la ruine et jusqu’à la perte des enfants, allusion probable aux sacrifices pratiqués sous Manassé. C’est une prière de repentance collective. « Nous avons péché contre l’Éternel. » (3.25) Cependant, la repentance implique la mise de côté des mauvaises pratiques, mais aussi l’engagement de tout son être. Cela ne peut pas se limiter à une décision collective, un changement d’orientation extérieur aux personnes, mais elle nécessite un changement intérieur, personnel, spirituel.
« Circoncisez-vous pour l’Éternel, circoncisez vos cœurs. » (4.3-4) Les anciennes mentalités et la foi ne sont pas compatibles. Il faut une véritable conversion du cœur. Les Judéens étaient bien circoncis dans la chair, mais pas de cœur. Encore une fois, les signes extérieurs peuvent donner le change, mais Dieu regarde au cœur.
Cet appel, bien qu’il ne soit pas reçu, sera développé avec les merveilleuses promesses du ch. 31, la nouvelle alliance : « Je mettrai ma loi au-dedans d’eux, je l’écrirai dans leur cœur ; et je serai leur Dieu » et « tous me connaîtront » (31.31-34). L’Évangile va ouvrir la voie à son accomplissement.
Conclusion
Cette section est une leçon bienfaisante au milieu des oracles de jugement : le Dieu de Jérémie est un Dieu qui désire faire grâce. Il appelle à revenir, à se repentir. Et si le jugement doit s’abattre, il promet le retour et la bénédiction à son peuple.
La réforme structurelle et cultuelle conduite de façon coercitive par le roi Josias ne semble pas avoir atteint la mentalité du peuple. L’idolâtrie pratiquée sur les hauts lieux s’est transformée en superstition à l’égard des objets du culte de l’Éternel (l’arche, le temple). Il faut une transformation spirituelle et individuelle qui ne verra son plein accomplissement qu’avec la nouvelle alliance. L’amour de Dieu se doit d’être prêché sans cesse.
L’histoire de l’Église n’est pas en reste vis-à-vis de cette constatation. Les périodes de réforme ou d’évangélisation de masse, souvent par la force, ont permis un développement en nombre de la religion chrétienne. Ce fut le cas avec l’officialisation du christianisme comme religion d’état sous Constantin, Clovis, Charlemagne, Ethelbert… la liste est longue. Mais les mentalités n’ont pas été pleinement transformées. C’est le patient travail de prédication, d’enseignement, non seulement par la parole mais aussi par l’exemple, qui a pu et qui peut encore apporter un changement fondamental et permanent pour rendre conforme à l’Évangile. De nos jours, si dans les milieux évangéliques, des réformes sont régulièrement nécessaires concernant, par exemple, la forme du culte, la musique, la prise en compte de la dimension sociale de l’Évangile…, il importe avant toutes choses que les cœurs, c’est-à-dire les mentalités, soient réformées, transformées. Le ministère prophétique est une de ces merveilleuses ressources que Dieu met au service de son peuple qu’il aime et qu’il appelle.
Si le retour à Dieu et les promesses de bénédiction faites à Israël et à Juda entraînent la bénédiction des nations, alors nous pouvons faire nôtres ces promesses. Nos retours à Dieu affermiront l’unité dans l’Église et porteront du fruit pour l’évangélisation, la bénédiction de nos prochains.
[1] La Bible annotée, Ésaïe, Jérémie, Lamentations, Commentaires Bibliques, Cap-de-la-Madeleine, Impact, 2003.
[2] A. Aeschimann, Le prophète Jérémie, Commentaire, Paris, Delachaux & Niestlé, 1959, p. 16-17.
[3] A. Aeschimann, op. cit., p. 28.