Jérémie et les faux prophètes (Jérémie 27-29)
Pendant tout son ministère, Jérémie a dû lutter contre les faux prophètes. Notre appréciation des prophètes des temps bibliques est plus facile que la sienne : les vrais prophètes sont dans la Bible et les faux prophètes n’y sont pas. Il n’est pas compliqué de distinguer les uns des autres. Mais, à l’époque de Jérémie, ce n’était pas si facile. Les faux prophètes prétendaient être de vrais prophètes. Eux aussi disaient : « Le Seigneur m’a envoyé. » Ils employaient les mêmes tournures de langage que Jérémie. Les prophètes concurrents de Jérémie pouvaient même passer pour plus authentiques que Jérémie lui-même. Et ces prophètes, que nous pouvons aujourd’hui identifier comme de faux prophètes, se caractérisaient par un message lénifiant, adoucissant, rassurant, optimiste : « Ne vous en faites pas, le Seigneur va nous délivrer. La situation n’est pas si grave. Bien sûr, il y a des difficultés mais nous allons les surmonter grâce au Seigneur. » Les faux prophètes minimisaient la gravité du péché, sans la nier tout à fait, et promettaient un avenir facile. Ils calmaient les inquiétudes et ils n’appelaient pas à la repentance, au revirement. C’est pourquoi Jérémie a dû les combattre, tout spécialement dans les chapitres 27 à 29[1].
Jérémie sous le joug (ch. 27)
Au commencement du règne de Sédécias, après la première prise de Jérusalem, en 597, les choses avaient déjà beaucoup empiré dans le royaume et les premières prophéties de Jérémie à ce sujet s’étaient déjà accomplies. Dieu dit à Jérémie en substance : « Tu vas faire un acte symbolique qui va frapper l’imagination de tout le peuple. Tu vas prendre un joug, comme on en met sur les bœufs. Ce joug symbolise l’assujettissement, l’asservissement. Tu vas le mettre sur ton cou et tu vas te promener comme cela. Au vu et au su de tout le peuple, tu enverras un message au roi d’Edom, au roi de Moab, au roi des Ammonites, aux rois des petits états alentour et tu leur diras ceci :
« C’est moi qui ai fait la terre, les hommes et les animaux qui sont sur la terre, par ma grande puissance et par mon bras étendu, et je donne la terre à qui cela me plaît. Maintenant je livre tous ces pays entre les mains de Nebucadnetsar, roi de Babylone, mon serviteur ; je lui donne aussi les animaux des champs, pour qu’ils lui soient assujettis. Toutes les nations lui seront soumises, à lui, à son fils, et au fils de son fils, jusqu’à ce que le temps de son pays arrive, et que des nations puissantes et de grands rois l’asservissent. Si une nation, si un royaume ne se soumet pas à lui, à Nebucadnetsar, roi de Babylone, et ne livre pas son cou au joug du roi de Babylone, je châtierai cette nation par l’épée, par la famine et par la peste. » (Jér 27.4-8)
Dieu déclare par là sa volonté de déterminer une période de l’histoire d’à peu près soixante-dix ans — le règne du roi de Babylone Nebucadnetsar (ou Nabuchodonosor), puis ceux de son fils et de son petit-fils — qui, dans son plan, correspond à la domination de l’empire babylonien sur toute cette région. Il demande de se soumettre à sa décision. C’est la seule position sage ; y contrevenir serait s’exposer au châtiment divin.
Le joug est là pour représenter cette résignation, ce consentement à la domination que Dieu confie au roi de Babylone pendant un temps. C’est le message que Jérémie avait prêché depuis de nombreuses années.
Hanania et Jérémie (ch. 28)
À ce moment-là, un certain Hanania qui se prétend prophète s’avance face à Jérémie, qui porte ce joug symbolique sur le cou. Cet Hanania, fils d’Azzur, prophète originaire de Gabaon, prend le joug qui est sur le cou du prophète Jérémie, le casse et prétend apporter un oracle de la part de l’Éternel en disant en substance : « De même que j’ai brisé ce joug, l’Éternel brise le joug du roi de Babylone. L’Éternel va nous délivrer de cette domination. »
Hanania présente cela comme un oracle au nom de l’Éternel, avec un signe symbolique très puissant, lui aussi, comme le signe du joug que Dieu avait dit à Jérémie d’utiliser. Comment le prophète Jérémie réagit-il ? Pas en criant tout de suite à Hanania : « Tu es un faux prophète. Sors d’ici ! » Non, Jérémie dit en quelque sorte : « Je serais très content que le message que tu viens de donner vienne vraiment de l’Éternel. Après tout, peut-être, parce que Dieu ne révèle pas tout son plan d’un seul coup. Peut-être qu’après m’avoir révélé à moi qu’il va y avoir domination du roi de Babylone, il révèle maintenant qu’il a compassion et que cette domination va cesser plus tôt qu’il ne l’avait dit. Ce serait très bien si c’était comme ça. Seulement, méfie-toi, j’ai quand même un petit doute, parce que tous les vrais prophètes — ceux qui sont maintenant reconnus pour vrais prophètes parmi les générations passées — n’ont pas dit des choses très agréables à entendre à court terme. En général, ils annonçaient des jugements parce qu’ils avaient bien discerné que le péché du peuple appelait le jugement de Dieu. Alors, ta prophétie est quand même un peu étonnante, Hanania ; tu n’es pas dans la note de tes prédécesseurs. »
Mais Jérémie ne va pas plus loin parce que, en tant qu’homme qui essaie de réfléchir, de voir quels sont les critères pour distinguer entre vrais prophètes et faux prophètes, il n’en possède pas encore assez pour dénoncer clairement Hanania comme un faux prophète. Donc il reste prudent. Mais rentré chez lui, il apprend par une révélation du Seigneur qu’Hanania est un faux prophète. Que fait alors Jérémie ? Il se met sur le cou un joug de fer. L’Éternel lui demande de s’adresser ainsi à Hanania :
« Ainsi parle l’Éternel : Tu as brisé un joug de bois, et tu auras à sa place un joug de fer. Car ainsi parle l’Éternel des armées, le Dieu d’Israël : Je mets un joug de fer sur le cou de toutes ces nations, pour qu’elles soient asservies à Nebucadnetsar, roi de Babylone. » (28.13-14)
Puis le prophète Jérémie s’adresse directement au prophète Hanania : « Écoute, Hanania ! L’Éternel ne t’a point envoyé, et tu inspires à ce peuple une fausse confiance. C’est pourquoi ainsi parle l’Éternel : Voici, je te chasse de la terre ; tu mourras cette année ; car tes paroles sont une révolte contre l’Éternel. » Le chapitre conclut sobrement : « Et Hanania, le prophète, mourut cette année-là, dans le septième mois. »
C’est un épisode vraiment très frappant dans la vie de Jérémie et qui montre comment les vrais prophètes et les faux prophètes ont pu s’affronter avec parfois, dans un premier temps au moins, de telles similitudes qu’on pouvait s’y méprendre. Les faux billets ressemblent beaucoup aux vrais. On se fait parfois abuser mais Dieu fait en sorte que la vérité ressorte assez tôt pour que ses fidèles puissent la discerner. Dans cet épisode, il donne une révélation à Jérémie et puis une prédiction à très court terme concernant la mort d’Hanania qui va pouvoir être vérifiée. Si quelqu’un a encore un doute à ce moment-là, il n’a qu’à attendre quelques mois.
Encore des faux prophètes (ch. 29)
La suite nous montre le prophète Jérémie encore obligé de contrer des faux prophètes même par lettre. Un premier groupe de déportés était parti en Babylonie après la première prise de Jérusalem, en 597, alors que le temple n’était pas détruit. Le roi de Babylone n’avait pas emmené captive toute la population, mais un groupe qui comprenait l’élite du peuple, les techniciens les plus qualifiés, les gens qui pouvaient être un peu plus dangereux. Mais en Babylonie sévissaient aussi des faux prophètes qui disaient : « Vous allez revenir très vite. Pas de problème, les choses vont s’arranger. »
Jérémie est donc obligé d’écrire une lettre à ces déportés pour leur dire que ces hommes sont de faux prophètes. Cela correspond au premier aspect du ministère de Jérémie : il déracine les illusions et, pour cela, il doit se heurter aux faux prophètes, et les dénoncer.
Les critères pour distinguer les vrais prophètes des faux
Dans l’Ancien Testament, deux grands critères pour reconnaître les vrais prophètes des faux prophètes sont indiqués dans le Deutéronome.
D’une part, une vraie prophétie doit être en accord avec ce qui a déjà été révélé antérieurement par Dieu : avec la loi de Moïse et avec ce qu’ont dit les autres prophètes. Dieu peut nous surprendre, mais il ne se contredit jamais (cf. Deut 13.2-6[2]).
Le second critère veut qu’une chose prédite s’accomplisse. Si une prédiction ne s’accomplit pas, elle n’a pas été faite par un vrai prophète, parce que, là encore, Dieu, qui est le maître de la situation, ne dit pas des choses en l’air. Si c’est lui qui a parlé, la chose va se produire, comme la mort d’Hanania cette année-là (cf. Deut 18.21-22).
Je pense que ces principes s’appliquent à nous aujourd’hui aussi. Il y a dans l’Église des faux prophètes, des gens qui prétendent prêcher l’Évangile, qui prétendent être les porte-parole de Dieu et qui certainement ne sont pas davantage mandatés que le prophète Hanania ne l’avait été. Par exemple, il y a une fausse prophétie dans ce qu’on appelle « l’évangile de la prospérité », qui ressemble beaucoup au message des faux prophètes du temps de Jérémie. On entend dire : « Un chrétien ne doit pas être malade. Un chrétien doit être riche. S’il donne sa dîme, il va s’enrichir ; c’est ce que Dieu a promis de façon formelle. »
Cet évangile de la prospérité rencontre un très grand succès, et se glorifie de dizaines de milliers de prétendues conversions, parce qu’un tel message attire le monde. Mais il ressemble exactement à ce message des faux prophètes de l’Ancien Testament, flatteur, démagogique. Alors, soyons sur nos gardes, restons vigilants pour ne pas nous laisser berner par les mensonges que suscite l’adversaire.
[1] Comme le dit Henri Blocher au début de cet article, Jérémie a sans cesse dû lutter contre les faux prophètes. Il est aussi arrivé que ceux qui prétendaient connaître la pensée de Dieu mieux que Jérémie soient des « hommes présomptueux », des chefs politiques ou militaires (voir 32.32; 43.2). Pour une définition plus complète des faux prophètes, souvent associés aux sacrificateurs, voir aussi : 2.8,26 ; 4.9 ; 5.13,31 ; 14.13-15 ; 23.9-40 ; 26.11et ss ; 37.19 ; 50.36. (NDLR)
[2] L’enseignement contre l’idolâtrie est pars pro toto ; on peut l’étendre à la doctrine entière, au moins dans ses articles fondamentaux ; les citations faites des prophètes antérieurement reconnus, et par Jésus lui-même, impliquent le même critère.